La Fureur #1 : "Joggeuse disparue", "Adolescence" & procès Le Scouarnec
Bienvenue dans le premier numéro de "La Fureur" 🔥
Au programme de ce numéro 1 :
🏃🏻♀️➡️ Ma Fureur : Agathe Hilairet, “la joggeuse disparue”
🗞️ Actu en furie : Mazan, Yannick Agnel, Le Scouarnec et les autres
❤️🔥 Ça fait fureur : Adolescence, la série de Stephen Graham
🧘🏽 On se pose et on explique : la rétention de sûreté
🏃🏻♀️➡️ Ma Fureur : Agathe Hilairet et la figure de “la joggeuse disparue”
Quand les “faits divers” révèlent des faits de société.
Le 4 mai, le corps d’Agathe Hilairet disparue depuis le 10 avril dans la Vienne a été retrouvé près du bois où elle était partie courir. Les résultats de l’autopsie n’ont pas encore été rendus - impossible donc de savoir encore s’il s’agit d’un crime ou d’un accident. Ses proches gardent le silence, mais les femmes, elles, témoignent des violences sexistes et sexuelles dont elles sont victimes dans l’espace public. Avec une peur : celle de devenir, comme Agathe, “la joggeuse disparue” dans les titres de presse.
La peur des “joggeuses”
Le Monde, France Info, BFM-TV… À la suite de la disparition d’Agathe Hilairet, les témoignages de femmes adeptes de la course à pied se sont multipliés. Qu’il s’agissent de simples micro-trottoirs ou d’enquêtes, les personnes interrogées sont unanimes : toutes ont déjà été victimes de violences sexistes, du harcèlement à l’agression, pendant leur séance de sport. En avril, l’Union sport & cycle a publié une étude selon laquelle 15 % des coureuses françaises se sentent en insécurité pendant leurs entraînements (un sentiment qui atteint 27 % chez les 18-24 ans) et 56 % d’entre elles ont dû faire face à des situations problématiques lors de leurs sorties (par exemple remarques sexistes et regards insistants). En 2023, Adidas publiait également des chiffres internationaux : 92 % des femmes déclaraient se sentir inquiètes pour leur sécurité lorsqu’elles courent, 51 % craignaient d’être agressées physiquement, 56 % avaient reçu une attention non désirée, 55 % avaient fait l’objet de commentaires sexistes ou d’une attention sexuelle non désirée. Des statistiques qui témoignent d’un spectre des violences sexistes et sexuelles qui s’immisce dans le pan sportif de la vie des femmes. Un phénomène qui n’est malheureusement pas nouveau.
D’où vient la figure de “la joggeuse” ?
Pourtant, à y regarder de plus près, ce type de sujet n’a rien d’une actualité criante. Il s’agit en fait plutôt d’un “marronnier”, ce qui signifie en jargon journalistique “un sujet régulier”. À chaque affaire de “joggeuse disparue”, son flot de papiers témoignages et d’enquêtes. L’une des premières occurrence de cette appellation se repère Outre-Atlantique avec l’affaire de “la joggeuse de Central Park” : en 1989, Trisha Meili est agressée dans le célèbre parc new-yorkais, quand elle est retrouvée elle a perdu les trois-quarts de son sang. La jeune femme a survécu et témoigne de son calvaire dans un livre. Cette affaire, au-delà d’une des premières mentions de “joggeuse” est devenue aussi emblématique de la criminalisation des jeunes hommes noirs aux Etats-Unis puisque cinq ados afro-américains (surnommés “Les Cinq de Central Park”) ont été condamnés à tort après des aveux extorqués par la police.
En France, le terme est associé à la disparition de Caroline Marcel en 2008. Le corps de cette quadragénaire partie courir un soir de juin est retrouvé immergé dans le Loiret. Un cold case repris récemment par le pôle dédié aux affaires non-élucidées du parquet de Nanterre qui a procédé à l’interpellation d’un suspect il y a un an en janvier 2024.
Depuis, l’appellation “joggeuse disparue” a défini Patricia Bouchon, Marie-Christine Haudeau, Natacha Mougel ou encore Jouda Zammit. Toutes tuées pendant un jogging, mais toutes des femmes aux parcours et aux vies différentes. Preuve de la place qu’occupe cette appellation dans l’inconscient collectif, Jonathann Daval lui-même s’en est servi en 2017 pour signaler la disparition de sa femme Alexia. Selon lui, elle était partie faire un jogging et n’était jamais revenue. Plot twist : il a été condamné à 25 ans de réclusion criminelle en 2019. Car Alexia n’a pas été victime d’un rôdeur de l’espace public, mais bien d’un féminicide.
Se réappropier l’espace public
Faut-il le rappeler : dans 91% des cas de violences sexuelles, les femmes connaissent leur agresseur et, selon l’ONU, 60% des féminicides sont commis par un partenaire intime ou un autre membre de la famille. La figure déshumanisée de “la joggeuse disparue” tend à invisibiliser cette réalité statistique en semant la peur chez les femmes. Certaines d’entre elles en viennent même à s’organiser pour courir en collectif ou à mettre au point des stratégies d’évitement ou d’autodéfense. Des solutions à court-terme qui permettent de se réapproprier l’espace public mais qui n’enlèvent pas la peur de devenir “la joggeuse disparue”. Car pour cela, il faudrait d’abord que les hommes acceptent l’idée qu’elles puissent évoluer au dehors seules, et libres.
Il n’est pas question ici de nier le caractère systémique des violences dans l’espace public mais de nuancer le sensationnalisme de ce trope des affaires criminelles pour recentrer le débat sur le caractère systémique des violences de genre. Et, vu la récurrence de la figure de “la joggeuse disparue” dans les médias ces quarante dernières années, si l’on voulait vraiment protéger les femmes, le problème aurait été pris à bras le corps. Ce qui ne peut pas se faire sans les hommes… et selon l’étude Adidas citée plus haut, sur les 62 % d’hommes conscients que les femmes étaient en danger pendant leurs courses, seuls 18 % estimaient qu’il était de leur responsabilité de rendre la course à pied plus sûre pour les femmes… Y a du boulot.
Alerter sur les risques encourus par les femmes lorsqu’elles sont seules dans l’espace public ne doit pas occulter la raison principale de leur sentiment d’insécurité : la violence des hommes quels qu’ils soient, et leur manque de remise en question. Agathe, comme toutes ses semblables, paraît la cible idéale parce qu’elle est une femme. Pas parce qu’elle est “une joggeuse”. Et si elle a bien été victime d’un meurtre, il s’agira d’un féminicide et il faudra agir pour que les femmes ne courent plus au péril de leur vie. Bref, comme dit le slogan féministe, “éduquez vos fils”… et laisser nous courir.
Pour aller plus loin :
Série. When They See Us, Ava DuVernay, Netflix (2019)
Enquête. “La peur aux trousses”, L’Équipe Explore (16 décembre 2024)
Podcast. “Être joggeuse dans l’espace public”, À vos marques, prêtes parlez ! (4 avril 2025)
🗞️ Actu en furie : l’État face à la justice, procès #MeToo, Mazan & Le Scouarnec
L’actualité criminelle brévée avec un œil féministe.
L’État face à la justice.
Le 21 mai l’État a été condamné pour faute lourde dans l’affaire portée par Khadija, surnommée “La Combattante”. En 2020, cette femme qui souhaite rester anonyme n’avait pas été prévenue du procès de son ex-conjoint pour violences conjugales. Ce dernier sa été condamné à huit ans de prison pour les faits de violences mais acquitté des faits de viols. En situation irrégulière, il a aujourd’hui été expulsé vers le Maroc.
L’État pourrait également être bientôt condamné pour une affaire de féminicide. Les proches de Nathalie Debaillie, victime de féminicide en 2019, ont assigné l’État en justice pour “faute lourde”. La décision du tribunal de Paris est attendue le 4 juin. L’ex-conjoint de Nathalie Debaillie a été condamné en 2024 à 30 ans de prison.
Mazan, Le Scouarnec : des victimes contre un système
Un second procès des “Viols de Mazan” aura bien lieu. Après la condamnation de Dominique Pelicot et des 49 autres accusés à l’issue de ce procès historique, 14 d’entre eux avaient fait appel de la décision de la cour criminelle du Vaucluse les concernant. Seuls quatre d’entre eux ont maintenu cet appel. Le second procès aura lieu à Nîmes (Gard) du 6 octobre au 21 novembre prochains.
Les victimes de Joël Le Scouarnec, elles, attendent une prise de conscience similaire à celle qu’a provoqué l’affaire des “Viols de Mazan” au sujet de la soumission chimique. Le chirurgien a été condamné le 28 mai à une peine de 20 ans de réclusion criminelle. Il comparaissait depuis le mois de mars devant la cour criminelle du Morbihan pour 299 faits de viols et agressions sexuelles. Malgré une couverture médiatique relativement importante, les victimes ont dénoncé le manque de considération pour l’aspect systémique des violences sexuelles sur les enfants (la plupart des victimes étaient mineures au moment des faits). Lors d’un rassemblement, elles regrettaient notamment le manque de réaction politique et leur invisibilisation. Certaines déplorent également que la peine du chirurgien n’aie pas été assortie d’une rétention de sûreté (voir la rubrique “On se pose et on explique” plus bas). Joël Le Scouarnec a annoncé via son avocat qu’il ne fera pas appel de la décision de la cour.
Procès #MeToo
Gérard Depardieu a été condamné le 13 mai pour deux agressions sexuelles commises sur le tournage du film Les Volets Verts en 2021. L’acteur, lors d’un procès symbole du #MeToo du cinéma français a fait appel du jugement du tribunal correctionnel de Paris. La date de ce second procès n’est pas encore connue.
Cette actualité s’inscrit dans la lignée d’un autre procès #MeToo qui arrive, cette fois-ci dans le sport : celui de Yannick Agnel. Le nageur français sera jugé par la cour criminelle du Haut-Rhin pour viol et agression sexuelle sur mineure de moins de 15 ans. En 2021, une enquête avait été ouverte à son encontre après une plainte déposée par la fille de son entraîneur âgée de 13 ans au moment des faits.
Des affaires qu’on n’oublie pas.
De nouvelles fouilles ont été demandées pour retrouver Delphine Jubillar. L’avocate d’une des parties civiles a demandé le 12 mai que de nouvelles fouilles soient menées dans un bois pour retrouver le corps de la quarantenaire disparue. Elle appuie cette requête sur les données GPS du téléphone de Cédric Jubillar qui le localisent à cet endroit précis dans la nuit du 20 au 21 décembre 2020, moment de la disparition de sa femme Delphine. Le procès de Cédric Jubillar mis en examen pour meurtre sur conjoint doit s’ouvrir le 22 septembre devant la cour d’assises du Tarn. Lui a toujours nié son implication dans la disparition de sa femme.
De nouvelles fouilles ont également commencé dans le “cimetière” d’Émile Louis, près d’Auxerre (Yonne). Ces fouilles devraient durer plusieurs semaines avec un objectif : retrouver les corps de cinq femmes victimes du tueur en série décédé en 2013.
❤️🔥 Ça fait fureur : la série Adolescence
Le “true crime” fait fureur, à tort ou à raison ?
“Lorsqu'un ado de 13 ans est accusé de meurtre, sa famille, une psychologue clinicienne et l'inspecteur chargé de l'affaire se demandent ce qui s'est vraiment passé.”
J’ai regardé (mille ans après tout le monde certes) la série plébiscitée par le public de Netflix. Ses six épisodes en plans séquences m’ont captivée, il est clair que c’est une œuvre fascinante… MAIS j’ai été déçue. “Pourquoi ?” me demanderez-vous. Et bien, parce qu’on me l’avait vendue comme “une série sur le masculinisme”.
Le Monde, France Info, le Huffington Post, The Conversation… Nombreux sont les titres de presse à avoir rebondi sur le succès de la série pour parler du masculinisme et de ses dangers en ligne. Pour autant, le phénomène est finalement très peu expliqué dans le scénario : on entend le nom d’Andrew Tate, on parle des Incels, de misogynie. Mais qui peut prétendre avoir compris la complexité des mouvements masculinistes et leurs techniques d’embrigadement en regardant cette série ?
Ce qu’on comprend c’est plutôt le décalage entre les logiciels de réflexion des adultes, et ceux des ados. C’est ce qu’explique la professeure et psychologue Nathalie Anton dans une tribune publiée dans Le Monde : “La série montre avant tout des éducateurs, parents comme professeurs, qui minimisent ou ignorent les situations de harcèlement dont sont victimes les adolescents.” Et je suis plutôt d’accord.
La série ne montre pas les mécanismes qui mènent de la haine en ligne à la haine in real life. Et sans cela, difficile de lui faire jouer le rôle de sensibilisation que le gouvernement britannique a par exemple voulu lui donner en la diffusant dans les écoles. Car, au final, on ne sait pas vraiment ce qui a mené Jamie à commettre son crime et la victime est elle-même dépeinte comme une harceleuse… Pour mieux comprendre le spectre des violences masculinistes je vous conseille plutôt le documentaire Mascu(s) diffusé par France TV Slash et disponible sur la plateforme francetv.info.
🧘🏽 On se pose et on explique : la rétention de sûreté
Pour bien comprendre de quoi on parle.
Une peine de 20 ans de prison. C’est la peine prononcée à l’encontre de Joël Le Scouarnec, ce chirurgien jugé pendant les trois derniers mois pour 299 faits de viols et agressions sexuelles. L’avocat général (qui représente la société) avait requis que cette peine soit assortie d’une rétention de sûreté. Ce que la cour n’a pas retenu. Mais c’est quoi une rétention de sûreté ? Et pourquoi ça fait débat ?
La rétention de sûreté est un dispositif créé en 2008 qui permet de maintenir la privation de liberté d’une personne, même lorsque celle-ci a terminé de purger sa peine de prison. La rétention de sûreté s’effectue au sein d’un centre socio-médico-judiciaire : il n’y en a qu’un en France, à Fresnes (Val-de-Marne). Dans le cas de Joël Le Scouarnec, la cour a estimé qu’il avait fait preuve de responsabilité en reconnaissant ses crimes et qu’il était engagé sur la voie du changement. Lorsqu’il pourra sortir de prison, le chirurgien sera âgé de 80 ans et devra s’adonner un suivi socio-judiciaire. Pas assez, pour les victimes qui craignent la récidive de ce médecin qui a sévi en toute impunité pendant des décennies et a déjà été condamné en 2020 pour des faits similaires.
C’est d’ailleurs dans le sillage d’une autre affaire de récidive de crime sexuel que la rétention de sûreté a été créée. En 2007, Francis Evrard, à peine sorti de son troisième séjour en prison pour violences sexuelles sur mineurs, récidive : il enlève et viole le petit Enis, 5 ans - vous pouvez écouter l’avocat des parties civiles raconter l’affaire ici. L’affaire rendue publique, ni une ni deux, Nicolas Sarkozy et sa ministre de la Justice de l’époque, Rachida Dati, décident de faire voter la loi qui instaure la rétention de sûreté.
Destinée aux criminels les plus dangereux, la rétention de sûreté est un dispositif qui fait débat. D’un côté, les pourfendeurs d’une mesure contraire aux droits humains : une fois que l’on a payé sa dette à la société, tout le monde a le droit à une seconde chance. De l’autre, les partisans d’une mesure sécuritaire. Sur ce, je vous laisse vous faire votre propre opinion.
Au mois prochain pour plus de furie ! 🔥
Marie
👋🏽 C’est la fin de ce numéro de La Fureur ! Ce que j’écris n’est pas une science exacte, alors n’hésitez pas à me contacter pour me partager vos remarques, vos questions, me faire part d’éléments que j’aurais oubliés, me suggérer du contenu… (ou tout simplement me dire que cette newsletter est géniale, ça me va aussi). Je suis joignable sur Instagram ou via le bouton ci-dessous !